Délits de jeunesse

Jimmy Sabater, Délits de Jeunesse, éditions Policemania

Format : Format Kindle (pour l’édition numérique)
Taille du fichier : 1238 KB
Nombre de pages de l’édition imprimée : 380 pages
Vendu par : Amazon Media EU S.à r.l.
Langue : Français
ASIN : B076PPCJRS
Word Wise : Non activé
Lecteur d’écran  : Pris en charge
Composition améliorée : Activé
Résumé : Ces quinze nouvelles abordent de façon originale les grands thèmes qui touchent les adolescents d’aujourd’hui, le regard des autres, l’intolérance, le racisme, l’homophobie, l’inconséquence, l’écologie, le futur, la vie après la mort, etc. À travers toutes sortes d’épreuves ou d’expériences, les personnages de ses nouvelles doivent révéler leur nature profonde afin de trouver leur équilibre.
La Voix du diable
Zéro Défaut
Alice dans le miroir
Le Robot milliardaire
Passager clandestin
​Le Sarcophage d’amour
Obsession Intime
Galaxies Primitives
L’Esprit de Noël
Mortanna
Quelqu’un doit Mourir
L’homme chrysalide
Une si belle journée
Le Prince vaniteux
Histoire d’une balle

Jimmy Sabater est l’auteur de la trilogie jeunesse (ados et jeunes adultes) des Mystères du Forgrisant, dont le tome 1, “Un Suspect presque parfait”, a été numéro 1 des ventes, toutes catégories confondues, en décembre 2012 sur Amazon !

Délits de Jeunesse est préfacé par Charles R. Batson, professeur d’études françaises et francophones dans l’État de New York, USA

 

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Délits de Jeunesse

Jimmy Sabater, Délits de Jeunesse, éditions Policemania

 

EXTRAIT

Délits de jeunesse

Jimmy Sabater

 

 

  • Préface de Charles R. Batson

 

 

Cher lecteur, chère lectrice,

Quel plaisir énorme de retrouver ces « Délits » réunis en un seul recueil ; quel plaisir de les lire, de les déguster ! J’ai hâte de les partager avec toi.  Car oui, on peut se tutoyer, non ?, face à ce banquet d’images sucrées et de mots aussi délicieux que provocateurs.


Je les ai connus, ces « Délits ».  J’ai figuré parmi les premiers à avoir la satisfaction de lire ces nouvelles quand Jimmy Sabater les a écrites, dans ses jeunes années. Mais à les relire, les re-goûter, ici, ensemble dans toute leur saveur, j’ai l’impression de découvrir de nouveau leur monde de fraîcheur, de profondeur, de justesse, et de générosité. Car Jimmy Sabater est avant tout un auteur généreux. Il se donne dans ses écrits ; il nous transmet des sensations profondes et intimes ; il nous invite à traverser de multiples tranches de vies dont il décrypte pour nous tous les aspects.

 

Jimmy Sabater : un auteur à faire connaître, un auteur chez qui les jeunes trouvent une voix qui semble leur parler directement, sans filtre.  


Et c’est surtout en tant que professeur de français que ses nouvelles me parlent.  Paradoxe de ses textes, ses écrits au format concentré nous offrent une certaine plénitude. Jimmy Sabater nous emmène dans des mondes science-fictionnesques, fantaisistes, romanesques ou inquiétants, il nous projette dans des univers différents afin de nous montrer encore plus clairement notre monde.

Jimmy Sabater : un auteur qui sait écouter et parler aux jeunes. Il traite les questions qui leur sont primordiales et toujours actuelles. Qui sont-ils ?  Qu’attendent-ils de la vie ? Comment y parvenir ? Comment ne pas se perdre et demeurer fidèle à ses idéaux ?  Jimmy Sabater nous montre quelques chemins, quelques desseins qui se perdent, se gardant bien de tracer notre route, car chacun doit savoir trouver la voie qui lui est propre et trouver ses réponses.  Il nous écoute ; il croit à notre propre capacité à nous écouter et à répondre aux questions qui nous hantent.


Jimmy Sabater sait également susciter la curiosité des moins jeunes, comme si la vie n’était qu’une succession d’épreuves toujours renouvelées et que les écueils nous attendaient là où l’on ne voulait pas les voir. Le frisson tant souhaité est-il souhaitable ? L’amour désespéré apportera-t-il l’amour ou le désespoir ? Le plus beau des cadeaux est-il enviable quand il vous est offert à contre-coeur ? La justice peut-elle être rendue par celles et ceux qui nous trompent ? Quels sont les vrais dangers, les vraies menaces ? Où nous conduisent nos obsessions, quelles sont nos motivations ? Comment vivre et faire vivre un amour qui n’est pas que de l’amour-propre ?

 

Et enfin, Jimmy Sabater nous pousse vers cette question fondamentale :  Sommes-nous le maître de notre vie, ou sommes-nous les fruits d’un hasard prenant plaisir à se jouer de nos espoirs ?

Sache, cher frère, chère soeur, face à ce banquet d’images et de mots savoureux, que Jimmy Sabater risque de te guider vers certaines de tes questions essentielles et l’amener à accepter toutes les différences. Nous devons tous apprendre à aimer les différents visages de la bonté et de la beauté qui existent déjà de par le monde.  Et nous devons reconnaître que ces beautés comprennent celles des marginaux, des exclus, qui ont parfois du mal à trouver grâce à nos yeux.

 

Avec Jimmy Sabater, il apparaît de façon indiscutable que nous avons tout à gagner en écoutant le discours des personnes différentes, des laissés-pour-compte, des minorités, des faibles et des incompris qui ont pourtant tellement à nous offrir, à nous faire comprendre.


« Délits » de jeunesse, alors ?  Moi, je suis pour !  Surtout quand il s’agit de ceux de cet auteur qui se dévoile devant nous, qui nous montre ses premiers pas dans une écriture qui porte des signes de beauté, d’amour et d’humanité.

 

Charles R. Batson

Professeur d’études françaises et francophones dans l’État de New York, USA

Auteur de nombreuses publications, y compris Dance, Desire, and Anxiety in Early Twentieth-Century French Theatre (Routledge, 2005) et, avec Louis Patrick Leroux, Cirque Global : Quebec’s Expanding Circus Boundaries (McGill-Queens University Press, 2016).

 

 

La Voix du diable

 

J’adorais explorer les antiquaires. Chaque dimanche, je partais à la conquête des brocantes, vide-greniers et autres boutiques poussiéreuses, à la recherche de quelques nouvelles trouvailles. J’aimais me balader au milieu de ces pendules figées, sentir l’odeur de ces livres jaunis par l’humidité ou de caresser le bois immortel d’un meuble épargné par les caprices de l’histoire et du temps.

En cette matinée de juillet, je m’étais laissé vagabonder sur les routes de la campagne bordelaise, si bien que je ne saurais dire dans quel village je m’étais arrêté. C’est au fond d’une cour pavée et fermée par une haute cloison en fer forgé noire, que j’avais découvert la petite boutique.

Il y avait là toutes sortes d’objets : des miroirs anciens cernés de bois teinté à la feuille d’or, des peintures académiques représentant des nus féminins, des costumes de théâtre et de cirque, un cheval de bois multicolore hérité d’une fête foraine, quantité de vieilleries qui n’intéressaient pas le collectionneur avisé que je me plaisais à imaginer être. J’allais quitter le magasin quand un objet d’une autre nature attira mon attention. Juchée en haut d’un buffet en chêne massif, une petite radio en merisier était dissimulée derrière deux piles de partitions de musique poussiéreuses. Amateur d’appareils électriques obsolètes, je m’en approchai pour la saisir et l’examiner. À bien la regarder, elle n’offrait aucun style particulier, ni même la moindre marque d’originalité.

— C’est une pièce de collection ! me renseigna une voix provenant de la porte d’entrée.

En me retournant, j’aperçus un vieil homme assis devant une table encombrée de monceaux de vieilles bandes dessinées. Je ne l’avais pas remarqué, à mon arrivée.

— Combien la vendez-vous ? lui demandai-je.

— Trois cents euros, lâcha-t-il d’un ton monocorde.

— C’est un peu cher.

— C’est pourtant le prix qu’elle mérite.

À peine sa phrase terminée, et sans même m’avoir adressé un regard, l’antiquaire se replongea dans la lecture de son registre et m’ignora comme il l’avait fait auparavant. Je continuai à scruter la radio et m’aperçus qu’elle ne disposait ni de cordon d’alimentation, ni de bac à piles. Intrigué devant cette étrangeté, j’activai machinalement le bouton du son et quelle fut ma surprise en l’entendant jouer une musique mélodieuse ! Tout en écoutant ces sons qui ne pouvaient provenir d’ailleurs, je la fis de nouveau pivoter pour m’assurer qu’elle n’offrait aucune ouverture. Mais, effectivement, cet appareil fonctionnait sans énergie ! Je la reposai pour l’observer quelques secondes, aussi hésitant qu’intrigué.

— Je l’achète. Annonçai-je finalement au vieil homme. Je vous la prends pour deux cents euros.

L’antiquaire me répondit simplement par un petit soupir agacé. À le voir lire avec ses cheveux collés à son front, son vieux pull, sa cigarette jaune qu’il n’avait pas dû allumer de la matinée, il n’avait pas l’air bien riche. Aussi, je lui tendis deux billets de cent euros qu’il ne toucha pas avant que je ne sois sorti.

Arrivé à la maison, je réalisai bien vite qu’à part le mystère de son alimentation, ma nouvelle acquisition n’offrait pas beaucoup d’intérêt et qu’en plus d’être inutile, elle dépareillait avec mon mobilier.

Ça n’est que la semaine suivante, lors d’un week-end caniculaire, que je pensai à la compagnie de ma petite radio. Je m’installai dans le jardinet, le visage à l’ombre d’un pommier et le reste du corps exposé au soleil, espérant vainement prendre une autre teinte qu’un rouge cuisant. J’allumai l’appareil à mon côté, confortablement installé face un délicieux roman de Stefan Zweig et un diabolo menthe bien frais. La radio diffusait une émission que j’avais l’habitude d’écouter et qui, à travers des questions pertinentes, dressait le portrait de personnalités politiques :

— Eh bien, monsieur, allez-vous enfin nous dire comment vous avez détourné ces cinq millions d’euros, lorsque vous étiez Ministre ?

— Vous pouvez toujours courir ! répondit le politicien. J’ai serré des mains et souri à des imbéciles pendant des années avant de m’en emparer. Cet argent est à moi et vous n’avez aucun moyen de prouver que je l’ai détourné. Si vous continuez à essayer de me tirer les vers du nez, je raconte à tout le monde que vous avez une liaison avec le numéro deux du gouvernement !

J’étais soufflé. C’était la première fois que j’entendais de tels propos dans une émission politique à une heure de grande écoute. Je montai un peu le son.

— Tout le milieu sait que vous n’êtes qu’un menteur et un escroc, reprit la journaliste. Vous ne cherchez qu’à être élu et une fois en place, vous ne concrétisez jamais vos promesses de campagne ! Comment est-il possible que ces imbéciles d’électeurs votent encore pour un parti aussi véreux ?

— Vous êtes bien laide ! lui lança l’homme d’un ton égal. Si je suis choisi aux prochaines élections, vous serez virée la première et je vous ferai remplacer par Brigitte, ma maîtresse à qui j’ai fait plus de promesses que je ne pourrai jamais en tenir.

Mais la journaliste semblait impassible :

— Pourquoi ne parlez-vous pas de cette vieille dame que vous avez renversée sur la chaussée, l’année dernière. Elle est morte sur le coup et vous avez brillamment étouffé l’affaire en lançant un débat sur la priorité nationale.

— C’est vrai, je n’avais pas remarqué à quel point vous étiez laide ! À la télévision, ils sont très doués pour arranger les journalistes, mais de près, vous êtes abominable !

J’étais éberlué par ce que j’entendais ! Comment pouvait-on tenir des tels discours à la radio ? J’imaginais que l’interruption musicale mettrait fin à ce curieux dialogue, mais il n’en fut rien. Les paroles de la chanson suivante étaient tout aussi insolites :

— J’écris un tube ! Un texte facile à écrire ! Un texte pour que les filles m’admirent ! Un texte de bobo en plein délire mais facile à retenir…

Je me levai de mon transat pour connaître la fréquence de la station qui diffusait de tels programmes. Je constatai alors avec étonnement que les longueurs d’ondes étaient inscrites dans un ordre complètement aléatoire. Tout cela devenait de plus en plus curieux.

Je changeai alors de station pour me retrouver au beau milieu d’une émission cinéphile où une star de notoriété mondiale se livrait à des confessions surréalistes :

— Vous ne comprenez donc pas que j’ai honte de ce film ? déclarait-elle de manière éplorée. Je ne l’ai accepté que pour me sortir de mes dettes. Le fisc m’a dépossédée de mon appartement et je suis obligée de vivre chez mon ex-mari. Voilà pourquoi j’ai joué nue. Je ne l’aurais pas fait en temps normal, car j’ai honte de mon corps. Mes seins et mon derrière sont trop gros, mes jambes trop courtes. D’ailleurs je déteste ce réalisateur et tous les films qu’il a montés. Je méprise également ce métier. Je veux rentrer chez moi !

Un doute effroyable s’empara de moi et je me dis qu’il se passait quelque chose de vraiment extraordinaire. J’emportai alors l’appareil dans le salon et m’installai à côté de la chaîne hi-fi pour y retrouver une station qui me permettrait d’entendre la voix de cette femme si désemparée.

Et au comble de ma surprise, si le programme était identique, le discours était totalement opposé :

— C’était important pour moi de jouer nue pour coller à mon personnage. Le réalisateur est exceptionnel et tous ses films sont des chef-d’œuvres. J’ai eu beaucoup de chance. En plus de son incommensurable talent, il est d’une incroyable générosité…

Sur la petite radio en bois on entendait :

— Nous sommes en froid depuis que le film est sorti. Ce type est totalement misogyne, pervers et dangereux. Je suis à deux doigts de lui coller un procès…

Je n’en croyais pas mes oreilles ! Mon appareil ne diffusait pas ce que les gens disaient mais… ce qu’ils pensaient ! Je me mis à rire devant l’absurdité de cette situation. J’avais acheté cette radio par hasard et je me retrouvais avec une sorte de télépathe radiophonique qui fonctionnait sans énergie !

Après m’être amusé à écouter les diverses pensées de quelques célébrités, je déclarai ce gadget comme sans intérêt je déposai ma surprenante acquisition sur le frigidaire, où je finis par l’oublier.

Le lendemain, en me rendant à la banque où j’étais agent comptable, je fus convoqué par le directeur qui m’accueillit avec sa mine des mauvais jours. Il m’annonça alors que Helmut Von Richter, richissime et respectable client, avait escroqué l’entreprise de plusieurs millions d’euros suite à la négligence de Pierre Duval, mon prédécesseur, aujourd’hui parti en retraite.

— Je n’y suis pour rien, me défendis-je. Je ne travaillais pas encore chez vous lorsque ces prêts ont été consentis…

Mais le directeur ne voulut rien entendre et il me laissa insidieusement comprendre que je perdrais ma place si je ne retrouvais pas trace de l’argent ainsi détourné. J’étais abasourdi par ces menaces que je trouvais totalement injustes. Le soir venu, je regagnai ma petite maison de banlieue, déprimé et découragé. Je préparai un repas des plus sommaires pour le partager avec ma solitude. Assis face à la table de la cuisine, je regrettai que ma radio ne diffuse que les pensées des personnes parlant sur les ondes et ne me soit d’aucune utilité dans la situation présente. J’observai l’appareil et me dit que celui-ci ne m’avait peut-être pas encore livré tous ses secrets. Je l’inspectai une nouvelle fois. La face avant présentait deux boutons, un pour le volume et l’autre pour la fréquence de réception. Il y avait cette réglette graduée où les chiffres avaient été inscrits dans le désordre. Le haut-parleur était placé lui aussi sur la face avant, dissimulé derrière une fine grille en bois. Je retournai l’appareil et constatai que le bois semblait avoir été travaillé en un seul bloc, comme si on avait sculpté la matière pour construire cette étrange radio.

Je l’allumai et cherchai de nouvelles fréquences. Hormis les stations de la veille, je n’entendis rien de nouveau. Je m’apprêtais à l’éteindre quand une voix masculine grave et monocorde se manifesta :

— Quelqu’un vient.

Je me demandais bien quelle pouvait être cette station qui n’émettait qu’épisodiquement. Mais la sonnerie du carillon du couloir d’entrée me rappela à la réalité. C’était Sébastien, mon meilleur ami, qui me rendait visite, les traits tendus et essoufflé, comme s’il avait couru.

— Je suis inquiet, car Amanda n’est toujours pas rentrée, malgré l’heure tardive… Et son portable ne répond pas !

— Elle a laissé les enfants seuls ? C’est étonnant de sa part !

— Oui, cela ne lui ressemble pas. Avec l’histoire de cet assassin qui court dans la région, j’ai peur qu’il ne lui soit arrivé quelque chose.

— Peut-être qu’elle est tout simplement allée en courses ou qu’elle avait un travail urgent à terminer.

— Impossible, nous sommes allés au supermarché ensemble, ce matin. Et puis j’ai déjà appelé son agence, il n’y a plus personne. Je n’ai vraiment aucune idée de ce qu’elle peut bien faire. Tu crois que je dois avertir la gendarmerie ?

— Allons, calme-toi. Il ne sert à rien de paniquer. Nous allons prendre un verre et en parler. Tu veux une bière ?

— Plutôt un café, je risque d’en avoir besoin. Tu es gentil, fit-il en s’asseyant sur le sofa du salon.

J’allai dans la cuisine chercher les boissons lorsque la radio se mit de nouveau en marche :

— Il pleut quand le yoga crève un pneu.

J’étais de plus en plus intrigué par cet appareil si énigmatique et ses déclarations mystérieuses. Non seulement ce transistor m’avait annoncé une visite, mais en plus la voici qui jouait aux devinettes.

Je rejoignis Sébastien dans le salon où il semblait plus nerveux et impatient que jamais.

— Amanda prend toujours ses cours de yoga ? lui demandai-je.

— Oui, mais jamais le lundi, répondit-il

Je me dis alors que la petite radio avait peut-être essayé de me donner une piste pour retrouver la femme de Sébastien.

— Je suis certain que si tu prends la route qui mène à son club tu la trouveras… Peut-être qu’elle a crevé un pneu en s’y rendant.

— Mais non… Elle m’aurait appelé, dit-il, la tête entre les mains.

— Essaie toujours, on ne sait jamais.

Bien que trouvant cette idée absurde, Sébastien vida sa tasse d’un trait avant de se lever d’un bond :

— Mais oui, c’est vrai ! s’écria-t-il soudain. Elle m’avait dit que son cours était reporté ! Tu as raison, je vais aller voir. Merci, tu es vraiment quelqu’un sur qui je peux compter !

— C’est normal, fis-je avec mon air modeste. Tiens-moi au courant lorsque tu l’auras trouvée.

 

Quand Sébastien fut parti, je retournai à la cuisine et regardai la petite radio avant d’en tapoter machinalement le bois vernis.

— Tu es vraiment un drôle d’appareil, toi, hum ? Si seulement je pouvais comprendre comment tu fonctionnes ! Peut-être que je pourrais découvrir où se dissimule ce satané Von Richter et récupérer l’argent de la banque. Ça me permettrait au moins de conserver mon travail, le temps de trouver mieux.

Je débarrassais mon plateau du salon pour le porter à la cuisine, quand l’appareil se manifesta subitement :

— L’homme se cache en avril quand le dragon vole.

J’étais à nouveau interloqué. Qu’est-ce que cela pouvait bien vouloir dire ?

J’allais me coucher avec un roman de John le Carré, encore hanté par la mystérieuse déclaration de la petite radio, quand la sonnerie de mon portable retentit.

C’était Sébastien :

— Bravo pour ton intuition, Maxime ! Ma femme a crevé un pneu sur la nationale, en sortant de son cours de yoga, mais comme elle avait encore oublié son portable au bureau, elle n’a pas pu me prévenir. Nous venons de rentrer, les enfants sont allés chercher la voisine qui leur a préparé le dîner. Encore merci !

 

Le lendemain midi, en rangeant mon bureau, je tombai sur des classeurs d’archives poussiéreuses coincés entre mon armoire et le mur. Oubliés par mon prédécesseur, le nom de Monsieur Von Richter y était inscrit. Je pensai aussitôt à la phrase de la petite radio et ouvrit un dossier daté du mois d’avril. Là, je trouvai un papier à l’en-tête d’une libellule et signée de Helmut Von Richter, dont l’adresse était toute différente de ses autres courriers. En effet, Monsieur Von Richter était également propriétaire d’une importante entreprise anglaise répondant au nom de Dragonfly Import-Export. Après avoir collecté de nombreux renseignements sur cet établissement, je me rendis dans le bureau de mon directeur et lui révélai mes découvertes. Celui-ci était sidéré qu’un simple comptable intérimaire comme moi parvienne à élucider en deux temps, trois mouvements, un mystère que la brigade financière peinait à débroussailler. Non seulement Monsieur Von Richter était parti en emportant avec lui des sommes d’argent colossales, mais en plus, il avait extorqué les fonds de nombreuses autres filiales de notre groupe financier. Trop heureux des résultats extraordinaires que j’obtenais en écoutant ma radio en bois. Je passai le dîner suivant à lui poser toutes sortes de questions :

— Si tu agis par magie, est-ce que tu peux exaucer certains de mes vœux ?

— Te dire et te conduire ma voix le peut.

— Vais-je enfin trouver une femme qui rompra ma solitude ? lui demandai-je, espérant qu’elle me guiderait vers l’amour.

— La femme ne pas voir derrière le mur quand parler tu veux à l’antiquité je retournerai.

Évidemment, après une telle déclaration, je n’étais pas beaucoup plus avancé. Je tentai une nouvelle expérience en espérant une réponse plus intelligible :

— Je veux de l’argent, beaucoup d’argent ! Rends-moi riche !

— Rue des Sœurs Siamoises, derrière porte 32, attend valise riche homme, débita-t-elle sans plus de précision.

Sans attendre, je notai cette mystérieuse adresse sur un morceau de papier. Je terminai mon repas et après m’être chaudement habillé, je me rendis à l’endroit indiqué par la radio.

Cette parcelle de la rue des Sœurs Siamoises était cerclée par des barrières interdisant l’accès aux visiteurs, car plusieurs maisons attendaient qu’on les éboule suite à un glissement de terrain. Malgré les multiples panneaux, je poussai la porte du numéro 32 et avançai dans l’obscurité en foulant l’épais tapis de poussière du couloir. Je n’y voyais rien à cinquante centimètres. Mais mon pied ne tarda pas à heurter un lourd objet posé à même le sol. C’était la fameuse valise dont m’avait parlé la petite radio. Mon cœur se mit à battre la chamade. Si l’appareil ne m’avait pas menti, j’allais réaliser mon rêve de richesse. J’emportai sous mon bras le bagage, courant à grandes enjambées pour retrouver ma voiture et rentrer à la maison. Je me rendis à la cave pour y trouver un pied de biche et faire sauter la serrure. Je ne découvris le contenu de la valise, qu’une fois dans la cuisine, à la pleine lumière. Lorsque je soulevai le battant du bagage je ne pus m’empêcher d’écarquiller les yeux.

— Ouhouhou ! m’écriai-je. C’est trop beau !

Des liasses de billets de 500 euros étaient empilées, serrées les unes contre les autres. Je n’avais jamais possédé autant d’argent de toute ma vie. Il y en avait pour des millions, sans doute plus que je ne pourrais jamais en dépenser !

— Quelqu’un vient, a soudain déclaré la radio.

— Qui est-ce ?

— Mécontent rôdeur est.

— Comment cela ? m’énervai-je. Tu disais que tu me rendrais riche !

— Armé l’homme est, tuer vouloir.

Il ne m’en fallut pas davantage pour aussitôt éteindre la lumière, refermer la valise et la cacher dans un meuble de la cuisine et empoigner fermement le pied-de-biche pour me dissimuler derrière la porte d’entrée.

— Tout près l’homme est, payer tu vas, continua la voix sans âme.

— Peste ! Tu disais que tu pouvais m’aider !

— Dire, fait. Aider, jamais ma voix fait.

Lorsque je vis la poignée de la porte s’animer au milieu de la pénombre, je sentis mon cœur battre à tout rompre. Des perles de transpiration coulèrent de mon front et de mes lèvres lorsqu’un bras avança dans l’obscurité. Je n’arrivais même plus à maîtriser ma respiration. Quand la silhouette se dessina complètement devant moi, mes deux bras s’abattirent aussi sèchement qu’un couperet sur l’intrus et un son fracassant me rappela la barbarie de mon geste. Il était déjà trop tard lorsque le corps tomba lourdement au sol.

Je remplis d’air mes poumons, à la fois rassuré et paniqué par cette situation digne d’un film d’épouvante. Après avoir retrouvé mes esprits, j’appuyai sur l’interrupteur de la lumière, réalisant du même coup combien j’avais été trompé, trahi, possédé.

Baignant dans une mare de sang, à mes pieds, la pauvre Amanda, mère des enfants de Sébastien, mon meilleur ami, gisait là, inerte, sans vie.

Depuis le couloir, il m’a alors semblé entendre comme un petit rire. Un rire cynique, méchant cruel. Il résonne encore lorsque je n’arrive pas à fuir mes pires cauchemars dans ma cellule où je vis à présent.

— Aider, jamais ma voix fait.

Personne n’a jamais cru à mon histoire, ni Sébastien, ni mon avocat, ni le juge, pas même le directeur de ma banque qui n’a pas voulu retirer sa plainte, alors que tout l’argent qui lui avait été dérobé se trouvait dans cette valise.

Je croupis désormais entre ces murs gris et tristes, dépossédé de tous mes biens. Il paraît qu’ils ont vendu mes meubles et tous mes effets personnels. Parfois je songe à celui ou celle qui va allumer ma petite radio et qui entendra cette voix que je n’arrive plus à oublier.

 

 

Zéro Défaut

à la mémoire de Franck Baranbo

 

Sur la planète Bleu Danube, de nombreux habitants avaient pour habitude de se retrouver dans des lieux de vie à boire des breuvages variés tout en exprimant leurs opinions.

Le Colonel Van Drieck se rendait chaque soir dans ce petit bar dont on disait qu’il n’était pas surveillé par les robots de la police. Il se tourna vers Leïla, car il ne parvenait pas à comprendre le point de vue :

— Le gouvernement s’efforce de trouver des solutions à la surpopulation. C’est plutôt positif. Je ne vois pas ce qu’il y a d’immoral à supprimer ceux qui n’apportent rien à la société.

— Vous ne comprenez pas, Colonel, reprit Leïla en terminant son cocktail d’alcool concentré. Ce qui me choque, ce sont les populations visées. Je trouve leur décision de supprimer tous les artistes plutôt contestable.

​ Un androïde retira les verres vides et les remplaça par d’autres, sans attendre qu’on le lui demande.

— Avec quarante milliards d’habitants, Bleu Danube aura épuisé toutes ses ressources d’ici cinq ans. Si nous ne sélectionnons pas ceux qui doivent subsister, nous périrons tous !

— Je ne vois pas pourquoi je m’égosille à vous faire partager mon raisonnement, Colonel, s’énerva Leïla. Après tout, vous êtes de ces assassins qui tuent sans plus d’état d’âme.

— Allons, Leïla, ne faites pas l’enfant. Je ne tue pas pour le plaisir. Je suis à la solde du gouvernement. Je n’ai même pas d’avis à avoir là-dessus. Les Ministres cherchent juste à conserver le meilleur de notre monde en prenant des décisions, certes désagréables, mais nécessaires.

— Vous supprimez les ​personnes âgées de plus de quarante ans, les chômeurs, les malades, les inactifs, les dépressifs ! Que restera-t-il au bout du compte ?

— Une société jeune et saine, répondit le Colonel Van Drieck avec un petit sourire amusé.

— Non, juste des assassins ! lâcha la jeune femme en élevant la voix.

Leïla, l’air irrité, vida son dernier verre d’un trait et salua l’assemblée avant de disparaître au beau milieu des ascenseurs aquatiques.

Cette nuit-là, le Colonel Van Drieck, ne parvint pas à dormir. La raison de son insomnie ne fut pas causée par le remords de la suppression d’un millier de ses congénères, mais par le fait que l’on puisse remettre en question l’utilité publique de son travail. Finalement, il œuvrait pour le bien de l’humanité. Grâce à lui, les plus vaillants de la société allaient pouvoir construire un monde meilleur. Pourquoi le remettait-on en question ?

Leïla, qui travaillait au département de recherche d’un grand groupe médical, redoutait peut-être d’apparaître prochainement sur la liste des personnes supprimables. En effet, si les malades et les personnes fragiles mouraient, son activité s’en trouverait peut-être amoindrie et elle deviendrait peut-être inutile. Le Colonel Van Drieck conclut que la jeune femme se sentait probablement coupable d’un conflit d’intérêts et cette idée lui convint si bien qu’il finit par s’endormir profondément…

 

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